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Pierre

Texte ecrit à la memoire de Pierre Riboulet et lu à l'occasion d'une soiree d'adieu

Novembre 2003

J’ai déjeuné, avec Pierre, plusieurs fois depuis la découverte de son cancer.
La dernière fut le Mercredi 24 Septembre… Yves Lion était avec nous.
Les médecins venaient d’arrêter tous les traitements qui le fatiguaient  tant,… mais qui étaient aussi son seul espoir !

 Je fus subjugué par la dignité et la sobriété avec lesquelles il nous faisait l’état de sa situation alors qu’il la savait irrémédiable. Il nous expliquait, avec précision et sans aucun masque, la manière avec laquelle il se préparait, je devrai dire avec laquelle il « faisait le projet »  des jours qui lui restaient. :
- comment il allait, jusqu’à ses dernières forces, faire son travail d’architecte, finir ce qu’il avait entrepris et laisser quelques relais pour en prolonger la mise en œuvre.      --comment il se préparait à vivre, le mieux possible, les derniers moments de son existence.

 Tout ce qu’il disait était, comme à l’ordinaire, simple, intelligent et, bien sûr ce jour- là, tendu par l’émotion. Une émotion contenue, sans débordement. On sentait bien qu’il affrontait une expérience terrible, sans perspective, mais il gardait pour lui le plus fort de son angoisse. Avec affection Il nous la laissait percevoir sans jamais cependant nous la communiquer.
A force de retenue, il nous rendait presque possible l’idée que nous étions simplement et amicalement en train de déjeuner une dernière fois ensemble.

 Où prenait-il les ressources d’un tel courage, d’une telle élégance alors qu’en pareille circonstance (j’en ai connu les prémices il y a deux ans) je n’ai pas su contenir mon inquiétude et manquer de perdre la raison.
Lui, parlait avec une profonde douceur de ce qui allait advenir…

La force de Pierre, celle qui lui faisait supporter, ce jour là,  l’inacceptable il la tenait, j’en suis maintenant sûr, de l’assurance que lui ont donné l’ensemble cohérent et beau de ses réalisations et de ses témoignages aussi..
Pendant le repas, je décelais sous chaque mot, triste ou gai, la fondation de son œuvre,… dense, accomplie, nuancée.

 Pierre au pire moment a su transformer le sentiment noir de la perte en un sublime espoir et je lui suis reconnaissant d’avoir su nous parler , sans évitement, de la mort, de sa mort et de nous la rendre tolérable.

 J’ai, à l’ordinaire assez d’assurance pour ne pas avoir à lire ce témoignage, mais, à l’image et en souvenir de Pierre, je veux me servir des lignes que forment sur mon écran la suite des mots pour ne pas diverger et ne pas me perdre dans l’émotion.

Pierre, je garde, en plus d’autres beaux souvenirs de toi, ce mercredi… comme la plus intense manifestation de ton humanité exemplaire..

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