Retour: textes disponiblesÀ Propos du Parc de la Villeneuve de Grenobletexte ecrit en 1980 Entre 1970 et 1971, moment où je dessinais le parc de la VilleNeuve de Grenoble, j'étais fasciné par les paysages ruraux, par les campagnes anciennes où l'arpentage et le travail des champs restent soumis aux contingences d'un pays. Paysages superbes et singuliers parce que la géographie locale et la géométrie rapportée du paysan ont, depuis longtemps, les mêmes rapports complices. Le trait régulier du labour y laisse encore place aux accidents et aux circonstances. Je voulais donc que le projet du parc transfère, d'une manière ou d'une autre, sur cet espace laissé libre de toutes constructions, certains signes et figures capables de témoigner de l'attachement que j'ai, bien que citadin de longue date, pour mon histoire paysanne. Je voulais aussi rompre avec les modèles de mes aînés paysagistes qui n'aimaient pas l'urbain ou du moins qui ne savaient rien de l'architecture et qui cependant acceptaient que leurs projets, inspirés de l'idée de "Nature", occupent l'espace de la ville par les formes contournées et molles de son démenti. Les "Espaces-Verts", qu'ils imaginaient comme une des formes de la rédemption de la ville moderne, ont de fait toujours Contribué à la violence du paysage des banlieues. J'aime l'architecture et la ville, Je sais qu'elles ont leur origine dans l'acte premier du tracé d'un champ. C'est donc le rapport d'une géographie et d'une géométrie qui préside à la conception de ce parc, mais ce rapport est ici dans un ordre inverse de celui qui façonne la campagne. La géométrie n'est pas, sur le parc, le tracé qui coordonne le rustique et l'accidentel, c'était, du moins Je le pensais, la structure même du site d'origine, son substrat. L'espace, en effet, était déjà plein des lignes qui vont et viennent de l'ombre épaisse des bâtiments, il était lourd des traits de la ville. Je devais donc laisser s'exprimer l'architecture bien au-delà des pans qui la ferment. Pour moi, les façades ne sont pas la tranche irritée où deux mondes s'affrontent, le dedans et le dehors, l'espace pierre et l'espace vert; C'est le lieu où se règlent, dans l’épaisseur, les subtiles entrées de l'ombre et de la lumière. Mais, à l'endroit du parc où s'épuise l'influence des bâtiments, au-delà des ombres portées, le sol allégé se gonfle et se soulève; Il déforme par des bombements chaque trait de la résille d'origine. C'est donc la géographie qui est ici importée, une géographie tendue par le champ urbain. Le paysage naît de la tension entre ces deux mondes d'évocation et tout se joue à l'ultime moment de leur confrontation car c'est ici le lieu des effacements et des recouvrements, le lieu des secrètes associations. En travaillant ainsi l'espace du parc je ne voulais pas qu'il entre en dissidence avec la ville mais qu'au contraire, il en soit son avant-corps. Pour montrer ce qui m'intéresse aujourd'hui, je dois nécessairement faire la critique de ce parc. Je ne renie pas mon intérêt pour la campagne, elle est sans doute le référent majeur de tous les paysagistes latins; mais je considère cependant que la manière dont je l'ai transposée sur le site de Grenoble, relève de la création ex-nihilo, c’est-à-dire d'un système de projet qui considère le sol où il s'installe comme une page blanche. À cette époque, l'idée de nouveauté l'emportait sur tout autre critère, ce qui explique pourquoi on a nommé ce quartier "la Ville-Neuve. Or, ce terrain avait une histoire dont il portait les indices visibles (les anciennes pistes d'un aéroport, les limites de parcelles de jardins ouvriers etc...) et je dois reconnaître que mon projet a largement contribué à l’effacement de ce réseau de signe. Je sais donc aujourd'hui, que j'ai trahi la notion que je prétendais défendre, celle de l'antériorité du site, de la contingence et de la circonstance. Certes le parc de la Vllle-Neuve parle du rapport de la ville et de la campagne, mais il en parle en termes généraux, c'est un projet emblématique. Or, j’ai appris depuis que le paysage résiste aux généralités. Ce que j'aime maintenant des paysages campagnards ce n'est pas seulement l'espace comme configuration mais aussi l'énorme quantité de temps qu'exprime la succession des signes emboîtés les uns dans les autres. Mes projets d'aujourd'hui sont toujours tendus par les mêmes aspirations mais ils sont plus attentifs aux lieux où ils s'installent. Je cherche un prolongement plus qu'une transformation. Pour maîtriser l'espace il n'est pas nécessaire de rompre avec le temps.
Michel Corajoud Retour: textes disponibles |