Retour: textes disponiblesLa mégaphorbiaie au parc de GerLandà LyonExtrait d’un article des « Carnets du Paysage » N°9 et 10 : JardinerAux editions Actes Sud
INTRODUCTION DE MICHEL CORAJOUD
Les naturalistes désignent la mégaphorbiaie comme un groupement luxuriant de hautes herbes mésohygrophiles vivant sur un sol profond et riche en terre fine”. Une mégaphorbiaie est, généralement, installée en bas des pentes créées par les versants d’un cours d’eau. Nous avons largement débordé cette formulation pour l’adapter à un projet de jardin (nous avons tenté plusieurs fois, au cours de ces dernières années où nous mettions en oeuvre le parc de Gerland, d’abandonner ce terme notre projet était trop loin de la définition de la mégaphorbiaie, et beaucoup trouvaient cette appellation trop pédante. Mais le mot s’est, finalement, imposé et devrait perdurer). Le jardin en mouvement, imaginé par Gifles Clément dans le parc Citroën Cévennes à Paris, fait référence aux cycles et associations naturelles des plantes. Nous voulions, depuis longtemps, concevoir et faire un jardin qui fasse, lui, référence à la maîtrise des plantes par le travail de l’homme agriculteurs, horticulteurs, maraîchers. Un jardin qui évoque moins la “nature” que la “campagne” qui a fondé l’ensemble de mon travail de conception. Nous avions, déjà, avec Claire Corajoud, Gabriel Chauvel, Marc Rumelhart et David Besson-Girard, à l’occasion d’un projet de réhabilitation du jardin des Tuileries à Paris, cherché à définir les bases d’un tel jardin. Nous voulions, en effet, réactualiser les parterres de Le Nôtre, en évoquant la présence de la Seine dont la vue avait été masquée, au cours des siècles précédents, par la construction de quais hauts maçonnés. Nous avions imaginé une mise en scène de canaux jouxtés à un type de végétation spécifique, disposée de façon laminaire. La structure de la mégaphorbiaie en longues bandes linéaires, parallèles et desservies par des allées, obéis sait, aussi, à l’exigence d’une culture en ligne. Le projet ne s’étant pas réalisé, la fidélité à cette idée nous a fait retravailler ce concept pour l’adapter au parc de Gerland bordé, lui aussi, sur sa plus longue dimension, par un fleuve, le Rhône, qui en contrebas ne se laisse plus voir. Le principe de base était une fauche régulière de tous les groupements végétaux, que ce soient des ligneux, des graminées, des vivaces ou des annuelles. Avant de faire, avec précision, la description de toute la genèse du projet de la mégaphorbiaie, il nous faut la situer dans le parc de Gerland lui-même, dans le site géographique et historique de l’agglomération lyonnaise. Dans la hiérarchie des divers niveaux de composition de la ville et de son paysage, on peut distinguer nettement trois lieux cardinaux, trois espaces de grande amplitude où s’expriment et se réinterprètent sans cesse les valeurs fonda mentales qui associent étroitement la ville à son territoire à l’ouest, la colline de Fourvière, désormais parc des Hauteurs, sur les coteaux de la Saône; au nord, sur l’ancienne plaine inondable des Brotteaux, le cône d’ouverture du parc de la Tête- d’or vers l’horizon des coteaux du Rhône à Caluire ; au sud, le cône d’ouverture symétrique de la plaine inondable de Gerland vers l’horizon de la confluence et du coteau de la Mulatière. En occupant les trois horizons de la ville, ces espaces ont eu, et conservent en héritage, des conditions géographiques et historiques particulières qui les distinguent nettement d’une part, le parc des Hauteurs est établi sur les fondations d’origine de la ville. Il est, de ce fait, un lieu d’histoire, de culture et de culte. Tous les stigmates de l’occupation ancienne, les diverses enceintes, y sont encore perceptibles. Parce qu’il domine, c’est aussi un lieu qui donne à voir et à comprendre la géographie d’ensemble et la ville dans son ordonnancement et son développement; d’autre part, les deux espaces méridiens du parc de la Tête-d’or et du parc de Gerland ont une étonnante symétrie d’une forme et d’une importance comparable, ils s’orientent ensemble sur la même rive du Rhône.
Ces deux entités sont, cependant, différentes par les horizons géographiques qui les associent aux lits amont et aval du Rhône géographie “naturelle” au nord, géographie “humaine” au sud. Ces lieux ne sont pas des territoires blancs, sans marque ni influence. Ils sont au centre de dynamiques spatiales et humaines particulières, ils sont environnés et baignés de qualités diverses. Ils sont déjà structurés par des axes et des tènements stables. Le parc de la Tête-d’Or est le point ultime, l’image concentrée et apprivoisée des paysages hygromorphes que forment les divers lits actuels et anciens du Rhône sur plusieurs kilomètres en amont. L’image pittoresque du parc, donnée au XIX siècle par les frères Bühler, a comme dépendance directe cet énorme réservoir de ‘nature”. Le parc de la Tête-d’Or (et aujourd’hui le nouveau parc de la Cité internationale) apprête et recompose la géographie du fleuve au moment précis où il se discipline pour entrer en ville. Ce parc est un lieu de détente et de contemplation. Bien que très public, il ne dissimule pas son caractère résidentiel. Le futur parc de Gerland a, lui aussi, son réservoir d’influence. Depuis presque toujours, l’activité des hommes a géré et composé le lit aval et navigable du Rhône. En aval, les darses du port Edouard-Henriot sont une transposition ordonnée et utile des bras morts du Rhône en amont. Aujourd’hui, toutes ces configurations industrielles portuaires anciennes, et urbaines, plus récemment, forment un autre “état de choses”, que l’imaginaire a dû intégrer et transposer pour mettre en oeuvre la nature spécifique du parc de Gerland. Nous avons donc fait le projet d’un parc mixte, actif et populaire. Pour y parvenir, nous avons imaginé le parc comme une association bien établie de trois ambiances paysagères qui seraient des lieux de trois usages différents la plaine de jeux organisés, la plaine de loisir et de jeux libres et les jardins-promenades (la mégaphorbiaie) dont il sera ici longuement question. La plaine de jeux organisés existait déjà à l’origine du projet. Elle regroupait de nombreux terrains sportifs. Nous l’avons confirmée et élargie. La plaine de loisir et de jeux libres a pris la forme d’une très grande prairie. Ce lieu majeur du parc devant être adopté par le plus grand public, il devait être perçu comme un espace de pratiques libres plus vaste qu’à l’ordinaire, un espace très généreux et singulier. Je suis originaire d’Annecy et j’ai toujours été fasciné par la belle et grande pelouse du pâquier au bord du lac. Les pelouses de Dieppe en bord de mer, celle de Caen ou celle, encore, de Bagatelle furent des références comparables. Pour mettre en scène ce sentiment de vastitude, nous avons exploité plusieurs situations la forme triangulaire, dans la mesure où l’on pénètre le plus souvent dans la prairie par ses angles, exacerbe l’idée d’ouverture; son appui latéral, sur la grande largeur du Rhône, ajoute une dimension géographique à cette prairie; sur un autre de ses plus longs côtés, en limite de la mégaphorbiaie, la prairie se soulève très légèrement pour créer, à hauteur de vue, une ligne horizontale parfaite, un horizon qui donne une illusion relative d’infini en effaçant toute limite tangible. Les jardins-promenades la mégaphorbiaie, enfin, dont une longue et précise description est faite ici. Un facteur essentiel d’étonnement de ce jardin sera, nous le verrons, son mode de gestion la tonte fréquente, la fauche de ces associations végétales qui exacerbent les facteurs saisonniers et accélèrent les processus de croissance (vigueur des pousses de l’année, etc.). Ce mode de gestion sera mis en scène labour, semis, bouturage, fauche, etc. C’est lui qui décide de la structure en bandes très simples, très rationnelles sur lesquelles vont s’épanouir la diversité des plantes associées. Mais c’est surtout l’importance de la dimension donnée à ce jardin, sa longueur (six cent cinquante mètres), qui semble nécessaire pour que l’imaginaire du public quitte l’échelle de la plate-bande traditionnelle pour retrouver la dimension d’un champ cultivé et l’outillage adapté à ce type de parcelle.
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